Aujourd’hui c’est l’anniversaire de ma grand-mère. Elle aurait dû avoir 86 ans. Et parce qu’elle a énormément compté dans ma vie, je veux lui rendre hommage.
Parce que son père est mort quand elle avait 27 ans et qu’elle a tenu tête à sa mère qui voulait attendre la fin du grand deuil pour l’autoriser à se marier avec un « galopin ». Mamie attendait déjà depuis longtemps, elle est partie à Paris chez sa sœur et a épousé Papi un mois plus tard, avec pour seuls témoins sa sœur, son beau-frère et sa nièce de 2 ans. Elle portait un tailleur et un chapeau noirs et comme au mois de février, il fait froid à Paris, elle s’était offert avec ses économies un petit manchon en plumes (d’autruche ?) pour y fourrer ses mains. Elle était ravissante et Papi, le plus fier des galopins ! Ensuite ils sont allés au restaurant. Puis au BHV pour acheter un moulin à purée Moulinex. Mais comme ils étaient un peu perdus dans ce grand magasin, ils ont oublié leur achat à la caisse après l’avoir payé. Le lendemain, ils y sont retournés penauds, la caissière bienveillante l’avait mis de côté et le leur a rendu.
Parce qu’elle a accouché seule, 3 fois, sans péridurale, ficelée sur un lit d’hôpital avec interdiction de déambuler ou de se positionner d’une quelconque façon qui pourrait la soulager ou aider au travail. A la place de tout ça, elle a mis en pratique les cours d’accouchement sans douleur : elle avait acheté un livre pour savoir comment faire. Et elle a toujours gardé un silence pudique sur les maltraitances verbale et physique qu’elle avait pu subir, se contentant d’un simple : « à l’époque, ils n’étaient pas tendres ! »
Parce qu’elle a décrété au milieu du grand boum de la libération de la femme qu’elle allaiterait son bébé au sein puisque le Bon Dieu l’avait pourvue pour cela et que tous les laits artificiels du monde ne changeraient rien à sa décision.
Parce qu’à la naissance de son 3ème enfant, elle avait une jambe dans le plâtre et malgré toute sa détermination, les médecins lui ont interdit d’allaiter au sein, au motif que « vous n’aurez pas assez de calcium et votre lait ne sera pas assez riche ! » Elle n’a rien pu faire cette fois et a gardé toute sa vie le regret de ne pas avoir allaité son fils. Elle disait d’ailleurs en le regardant « c’est certainement pour ça qu’il est devenu si grand et si gros ! »
Parce qu’elle a vécu 6 ans de sa vie dans une loge parisienne de 36m² avec 3 enfants en bas âge.
Parce que quand mon premier enfant est né et que j’étais désemparée par tant de pleurs, elle m’a dit : « tu sais ma chérie, dans les fermes autrefois, il y avait toujours une vieille grand-mère dans un fauteuil à bascule dont le rôle était de bercer les enfants ! » Et mon fils dans ses bras ne pleurait plus.
Parce qu’elle m’avait prêté un châle pour que mon tout-petit n’ait pas froid lors d’une promenade et que me voyant l’empaqueter elle s’est exclamée : « tu l’emmaillotes ? Tu as bien raison, Papi et moi avons été emmaillotés… on ne s’en est pas portés plus mal ! » Alors par la suite j’ai emmailloté tous mes enfants… et loin de les entraver, cela les a apaisé.
Parce qu’il y a presque 3 ans j’ai fait un aller-retour de 700 km pour l’embrasser sur son lit de soins palliatifs et j’ai passé une demie-heure à son chevet, mon dernier-né de l’époque assis sur les draps la fixait intensément et lui faisait mille sourires tandis qu’elle lui caressait les pieds de sa main décharnée en répétant : « qu’il est beau ! qu’il est beau ! » Cet instant de grâce est gravé dans mon cœur et dans ma mémoire.
Parce qu’elle n’aura pas vu mes deux derniers enfants nés le même jour mais que je suis sûre que de là où elle est elle le sait et elle veille.
Parce qu’elle faisait un broyé du Poitou et des confitures incroyables. Parce qu’elle avait les yeux qui brillaient quand elle voyait des huîtres. Parce que son linge sentait bon un mélange de lavande et de vieux bois de l’armoire. Parce qu’elle avait une foi catholique comme seuls les paysans de l’ouest avaient. Parce qu’elle a eu un accident qui aurait dû la tuer un jour en rentrant de Lourdes et qu’elle disait comme une évidence : « je ne suis pas morte parce que je rentrais de Lourdes! » Parce qu’elle a essayé de m’apprendre à être plus patiente et moins colérique. Parce qu’elle a écouté mes jalousies de petite fille. Parce que pour m’expliquer les fractions elle a découpé une tarte aux mirabelles. Parce qu’elle m’a appris à marcher avec une paire de chaussures à talons. Parce qu’elle m’a accueillie pour toutes mes révisions : bac, partiels, DE de sage-femme même et qu’elle me faisait réciter mes cours en me disant : « tu en sais des choses! » Parce qu’elle m’a appris à coudre. Parce qu’elle était ridée comme une vieille pomme.
Parce qu’enfant je m’étais exclamée : « Mamie si vous mourrez avant Papi, ce sera terrible, il ne pourra jamais vivre sans vous ! » Et qu’elle m’avait répondu : « Oh si ma chérie, il s’en sortira très bien ! Fais moi confiance, il vaut mieux que je parte avant lui ! » J’ai raconté ça à Papi il y a quelques jours alors que je faisais étape chez lui en rentrant de vacances. Nous étions émus tous les deux en l’évoquant. Et nous nous sommes tus un instant, attendant peut-être qu’elle entre dans la pièce et s’exclame gourmande : « ma chérie, tu n’as pas envie d’un petit chocolat ? »